Le chérifisme alaouite et la propagation de la Shādhiliyya dans la région du Touat au XVIIIe siècle

La rivalité historique entre les deux grands ordres confrériques du Maghreb, la Shādhiliyya et la Qādiriyya, qui s’est jouée à une échelle particulière dans la région saharienne du Touat, s’y est-elle résorbée en une sorte de synthèse ou de syncrétisme ? C’est ce que laisseraient à penser les pratiques incantatoires actuelles des disciples du saint alaouite Moulay Abdallah al-Raggānī (m. 1735), qui continuent, aujourd’hui encore, de combiner les deux wird, qādirī et shādhilī. Dans quelle mesure l’histoire de la diffusion des zawiyas au Sahara nous renseigne sur cet état de fait et sur les limites de la cooptation politique des confréries, en l’occurrence, de la Shādhiliyya par le chérifisme alaouite ?

Point-relais du commerce transsaharien aux confins du Maghreb central et du Maghreb occidental, la région du Touat a longtemps constitué un enjeu géostratégique majeur, cependant que son éloignement et son isolement désertique ont conduit les dynasties successives à recourir à un contrôle indirect, via les zawiyas du Maghreb. Sous les Zianides de Tlemcen, le Touat est dominé par des saints affiliés à la Qādiriyya du Maghreb central, à l’instar du Shaykh al-Maghīlī (m. 1503) et de ses disciples, les saints Kunti, qui contrôlent les oasis du Touat, tout en prenant part au commerce transsaharien qui s’organise à partir de Tlemcen. À la fin du XVIIe siècle, les Alaouites, affiliés à la Shādhiliyya, confrérie cliente du pouvoir chérifien depuis l’époque sa‘adienne, s’installent au Touat. C’est sur leur appui que les Filaliens alaouites vont compter, dès le XVIIIe siècle, afin de contrôler à leur tour ces oasis et les flux du commerce transsaharien.

Cette présentation s’appuie sur diverses sources afin de rendre compte du rapport du chérifisme et de la Shādhiliyya au Touat. La correspondance du pouvoir chérifien du Maroc avec les différentes zawiyas shādhilī du Touat, illustre bien comment loin de se contenter d’une soumission de principe de ces dernières, le pouvoir chérifien a cherché, par son intervention directe dans les affaires internes de la Shādhiliyya, à maintenir l’allégeance des oasis du Touat à son autorité. De même, une analyse de la Tawsila, poème soufi d’alRaggānitémoigne des efforts des Alaouites du Maroc pour imposer la Shādhiliyya au Touat, cependant que des entretiens et des données recueillies au travers d’une observation participante établissent clairement que le mysticisme chérifien touati a épousé une forme locale empreinte de la Qādiriyya, première confrérie au Touat.

Date : lundi 18 mars 2019, 16:00.
Lieu : Centre Jacques-Berque.

Intervenant : Brahim Kerroumi est docteur en géographie humaine de l’université Michel de Montaigne, Bordeaux III (novembre 2011), avec la thèse suivante : « Les mutations de l’espace saharien : de l’écosystème oasien à la nouvelle dualité ville-campagne (le cas de la région du Touat au Sud-Ouest algérien) ».  Actuellement, il auxiliaire d’enseignement et doctorant en histoire (en rédaction) à l’Université de Montréal (septembre 2014). Il travaille sur le thème de la sainteté maraboutique dans la région du Touat – au sud-ouest algérien – entre le XVIe et le XVIIIe siècle.

DiscutantRahal Boubrik, titulaire d’un Doctorat de l’Université Aix-Marseille (1997) et d’un DEA de l’université de la Sorbonne-ParisIII, est professeur chercheur (anthropologie) à l’Institut des Etudes Africaines à l’Université Mohamed V, Rabat. Ses ouvrages publiés sont : Saints et société en Islam (1999), La ville dans la société bédouine (2003), Etudes sahariennes(arabe 2008), La Baraka des femmes (arabe 2010), Entre Dieu et la tribu (2011), Le temps de la tribu (arabe 2012), Introduction à l’anthropologie (arabe 2014). Son dernier livre est intitulé De la tente à la ville. La société sahraouie et la fin du nomadisme (2017)‫.‬