Journée d’étude : Savants musulmans du Maghreb

Vendredi 29 juin 2018, Centre Jacques-Berque (Rabat)
Organisation : Sabrina Mervin
Coordination : Anis Fariji

9h15. Accueil des participants

9h30. Bilan et perspectives du programme  (Sabrina Mervin)

  • Le séminaire ILM et les séminaires conjoints ;
  • Ateliers et journées d’études en perspectives ;
  • Présentation, par David Goeury et Lahoucine Aguinou, de cartes (géographiques) de certaines structures de l’enseignement de l’islam au Maroc ;
  • Point sur le site anrilm.cnrs.fr ;
  • Les publications et autres livrables.

10h45. Pause

Modératrice : Sabrina Mervin

11h. Shoko Watanabe : Muhammad al-Fāsī (1908–91) et la réorganisation du savoir au temps du protectorat

11h30. Etty Terem : Muḥammad al-Ḥajwī’s discourse of Girls’ Education and Knowledge in Colonial Morocco

12h. Augustin Jomier : Cheikh Ibrāhīm Bayyūḍ (1899-1981) et la communauté ibadite d’Algérie

12h30. Discussion

13h. Pause déjeuner

 Modérateur : Augustin Jomier

14h15. Khadija Rajy : La madrasailīġiyah à travers les écrits de al-Muḫtār al-Sūsī

14h45. Abdel Wedoud Oueld Cheikh : Al-Muẖtār wuld Būnä, une figure centrale de la tradition scolastique ouest-saharienne

15h15. Discussion

15h30. Pause

15h45. Brahim Kerroumi : Moulay Ahmad al-Tahirī al-Idrīsī, un érudit contemporain qui incarne les caractéristiques du phénomène religieux saharien des temps modernes

16h15-16h45. Rahal Boubrik : Savoir et pouvoir : Ahmad al-Hayba (1877-1919)

17h15-18h. Discussion, présentation des projets d’Anne-Laure Dupont et de Charlotte Courreye, échanges sur les perspectives de publication.

RÉSUMÉS DES INTERVENTIONS

Muhammad al-Fāsī (1908–1991) et la réorganisation du savoir au temps du protectorat

Shoko Watanabe|Research Fellow – Institute of Developing Economies, Japon

Muhammad al-Fasi (1908–91) est un savant de la première génération des Marocains de formation universitaire occidentale. Formé en arabe et en français grâce à son bagage intellectuel familial et à son éducation aux écoles françaises, il a publié des articles et des livres dans les domaines de la littérature, de l’histoire, et de la culture populaire au Maroc.

Devenu premier ministre de l’éducation après l’indépendance du pays, il témoignerait d’un dilemme entre le projet nationaliste (la promotion de l’arabe classique et l’interprétation puriste de l’islam) dans lequel il s’engagea politiquement, et son intérêt personnel pour les cultures populaires, tels que le Malhûn (poésie chantée) et la tradition orale. Mais ces deux directions culturelles étaient-elles vraiment aux antipodes pendant la période coloniale ?

Cette communication analysera le parcours intellectuel et les ouvrages d’al-Fasi jusqu’à l’indépendance du Maroc (1956) en les situant dans les champs culturels de cette période de transformation intellectuelle radicale dans la région. Notre objectif est d’examiner la relation complexe entre les études de la culture populaire et le nationalisme.

Muḥammad al-Ḥajwī’s discourse of Girls’ Education and Knowledge in Colonial Morocco

Etty Terem|Associate professor –Rhodes College

In 1933, Muḥammad al-Ḥajwī (1874-1956), the minister of education in the French Protectorate and an avid reformer of Islam and Moroccan society, wrote a very long essay entitled “Girls’ Education does not Promote Unveiling of Women.” In it, al-Ḥajwī called for a reform in girls’ education, advocating the new French-run primary schools as replacing the informal settings of Qurʼānic neighborhood schools,  or the handicraft workshops, and espousing a radically new concept of knowledge.

In this presentation, I analyze al-Ḥajwī’s text, while paying close attention to his concepts of education and knowledge. What was the ideal educational regime? What were the specific skills and knowledge girls expected to attain? How did he conceptualize knowledge associated with sciences of religion? How did he construct the pursuit of other sciences and higher education? What was the religious and social rationale for girls’ education?

My argument is that in formulating his argument for girls’ education, al-Ḥajwī operated within multiple ideological spheres: colonial discourse, Orientalism, Western concepts, local concepts, Islamic ideals, and modernizing themes derived from across the region. In articulating his vision, ideas were appropriated, reinterpreted, and rejected.  Al-Ḥajwī was most concerned with pointing Moroccan society towards progress. For him, this form of progress had to be constructed around an amalgam of Western/colonial institutions and Islamic ideas and understandings.

Cheikh IbrāhīmBayyūḍ (1899-1981) et la communauté ibadite d’Algérie

Augustin Jomier|Maître de conférences – INALCO

Le Maghreb contemporain est souvent envisagé comme un ensemble sunnite, relativement monolithique. À travers la figure d’IbrāhīmBayyūḍ, je souhaite mettre en lumière les origines et le fonctionnement d’un confessionnalisme paradoxal, celui des ibadites d’Algérie, une minorité méconnue et qui, sans statut particulier, a une existence communautaire propre.

De sa jeunesse de lettré contestataire et moderniste dans l’entre-deux-guerres à sa fin – chef spirituel de la communauté ibadite dans l’Algérie de Boumedienne –, cheikh Bayyūḍ est à la fois témoin, acteur, et commentateur d’évolutions qui reconfigurent sa communauté.

En pointant successivement quelques évolutions et événements religieux, politiques, sociaux, et économiques, nous montrerons comment Bayyūḍ a contribué à réarticuler la communauté ibadite à l’Algérie coloniale puis nationale ainsi qu’à la majorité sunnite.

 

 المدرسة الإلغية من خلال كتابات المختار السوسي

خديجة الراجي| أستاذة باحثة – جامعة ابن زهرأكادير

تعددت  المدارس العلمية العتيقة بسوس  والجنوب المغربي  متخذة   أشكالا  وأنماطا  تتلاءم مع  طبيعة المنطقة  التي  بنيت بها  وتخضع   لضوابطها الدينية  والمذهبية . وقد عبرت  المدارس العلمية  العتيقة ، على مدى  تاريخها  الطويل ، عن تجربة  غنية تقوم  ليس على أساس ممارسة  صنعة  التعليم (حسب المفهوم  الخلدوني) فقط وإنما  هي مقوم من  مقومات  الهوية الحضارية . فكان   لكل  قبيلة مدرستها  تنتفع  بها في  أمور  الدين والدنيا، وتسهر القبيلة   على  توفير ما  يلزم  هذه المدرسة من  مؤونة  وكسوة للطلبة  وشرط  للفقيه وغيره. ولم  يستطيع العديد  من  المهتمين فك  الطلسم   الذي تشكله المدارس  العتيقة  في علاقتها  بالقبائل.إذ كانت   المدارس وما تزال    تأوي  فضلا عن  أبناء  القبيلة طلبة  آخرين  من مناطق  قاصية  ودانية . ولعل في هذا من الحكمة والرصانة ما يدل  على  أن الأسس التي  قامت   عليها  المدارس  العتيقة ، « أي  نشر الدين  الإسلامي  والحفاظ عليه  في  معاقل حصينة « ،هي  الموجه  الأساس لهذه  المدارس  التي لم  تخضع  لمزاجية القبيلة   وإنما  العكس هو الصحيح .

ولعل  انخراط فقهاء  المدارس في  أمور السياسة  والدولة لم  يكن ليعيق  أعمالهم  التوجيهية والتثقيفية  بل  كان هذا   الانخراط  موازيا ولا  يمكن  بأي حال  من  الأحوال أن   يؤثر  على المسار  الذي  انتهجوه داخل  مدارسهم.  وقد بلغ  اهتمام  الفقهاء بمدارسهم  حد المنافسة  العلمية  الرصينة والجادة، لكن هذا لم دم طويلا إذ سرعان ما تأثرت المدارس بالظرفية العامة التي عرفها المغرب خلال القرنين 19م و20م خصوصا تكالب الأطماع الاستعمارية وازديادها.

ظهرت المدرسة الإلغية في هذه الظرفية التاريخية الموسومة بالمنافسة الصوفية التي انعكست على التوجهات الفكرية للمدارس العتيقة. وإذا كانت بعض المدارس التي شيدت في نفس الفترة لم تحظ بنفس العناية فإن المدرسة الإلغية شكلت استثناء. فهي أولا لم تؤسس بمبادرة من القبيلة كما هو شأن أغلب المدارس العتيقة وهي ثانيا نالت حظا وفيرا من حيث التعريف بها والإحاطة بشؤونها العامة والخاصة ، وذلك بفضل كتابات المختار السوسي.

نخصص هذه المداخلة لاستقراء مؤلفات المختار السوسي وخاصة منها: المعسول وسوس العالمة وخلال جزولة ومترعات الكؤوس في آثار طائفة من أدباء سوس والترياق المداوي والإلغيات لنقف على المواضيع التي قاربها و المداخل التي اتخذها لها.وسنركز بالخصوص على التحولات الكبرى التي عرفتها المدرسة منذ تأسيسها وعلى التجاذبات التي عرفتها المدرسة الإلغية والزاوية الإلغية.

al-Muẖtār wuld Būnä (m. 1220/1805): une figure centrale de la tradition scolastique ouest-saharienne

Abdel Wedoud Oueld Cheikh|Professeur émérite – Université de Lorraine

Les sciences de la langue (grammaire, logique, rhétorique…) ont été de longue date au cœur des préoccupations pédagogiques des savants de l’ouest saharien. L’apprentissage de ces matières est jugé essentiel pour asseoir la rectitude de la foi et se conformer à l’enseignement d’un aš‛arisme qui a repris, à travers ‛ilm al-kalām, une part non négligeable de l’appareil argumentatif élaboré par les mu‛tazilites et/ou directement repris à l’héritage aristotélicien. Al-Muẖtār wuld Būnä est l’une des plus anciennes et des plus illustres figures de cette tradition scolastique qui associe, depuis le XVIIIesiècle, une compétence dans le champ des sciences de la langue à une théologie rationalisante qui ne dédaigne pas le recours au syllogisme et s’attache à un usage précis des concepts qu’elle mobilise. Il est considéré comme le principal fondateur de l’enseignement de la grammaire dans le Sahara maure, où son ajout/commentaire (Iḥmirârou Ṭurra) versifié à la célèbre Ḫulāṣa alfiyyade Muḥammad Ibn Mālik al-Jayyānī al-Ṭā’ī (m. 672/1273) constituait LE texte de référence des établissements traditionnels (maḥāẓir, sg. maḥaẓra) de l’Ouest saharien. Il est également reconnu comme un des grands maîtres de la logique et de la ‛aqīdaaš‛arite dans toute cette région.

Dans l’intervention que j’envisage de présenter, je me propose de donner un aperçu du milieu où a grandi, évolué et enseigné wuld Būna ; d’évoquer la tradition pédagogique au sein de laquelle il s’inscrit et d’aborder brièvement l’une de ses œuvres, objet de plusieurs exégèses – Wasīlat al-sa‛āda -, qui constituait l’une des principales références de l’enseignement de la ‛aqīdaaš‛arite dans la région.

Moulay Ahmad al-Tahirī al-Idrīsī, un érudit contemporain qui incarne les caractéristiques du phénomène religieux saharien des temps modernes

Brahim Kerroumi|Doctorant – Université de Montréal

Le portrait que nous avons choisi d’interpréter à l’occasion de la journée d’étude « Savants musulmans du Maghreb » est celui de Mūlāy Ahmad al-Tahirī al-Idrīsī, l’auteur d’un manuscrit intitulé Nasīm al-Nafahāt fi Dhikr Jawānib Min Akhbār al-Twāt. Ce personnage est représentatif d’une interprétation parfaite de l’émergence de la région du Touat comme un centre d’érudition au fin fond du Sahara, entre le XVe et le XXe siècle. À travers lui, nous voudrions analyser nombre d’éléments qui ont, pendant toute cette longue période, caractérisé cette région de la partie occidentale du Sahara algérien. Ce qu’il y a de commun entre Moulay Ahmad al-Tāhiri et l’ensemble des grandes figures qui ont marqué l’histoire de cette région, c’est l’idée même dont dépend le phénomène religieux saharien de cette période. Ce phénomène est soumis à une panoplie d’éléments qui ont fait sa particularité, notamment, le maraboutisme, le malikisme, le chérifisme et l’alliance entre le fiqhet le soufisme.  En Effet, le personnage de Moulay Ahmad al-Tāhirī combine tous les éléments distinctifs de l’histoire de la région du Touat.  Il était un faqih Malikiteet soufi qādirī, originaire d’une famille idriside de Marrakech. Il est arrivé au Touat pendant les années quarante du siècle dernier, où il a fondé plusieurs zaouïas et médersas. Il a gagné le respect et la confiance des Touatiens par son statut de faqih,mais aussi par son origine chérifienne idriside. Cela lui a permis d’accéder à toutes les khizānātdu Touat, c’est pour cela d’ailleurs que son manuscrit est considéré comme une source fiable par les historiens locaux malgré le fait qu’il soit contemporain. En outre, le manuscrit en question illustre l’attachement particulier de la région Touat au soufisme et au culte des saints.

Savoir et pouvoir : Ahmed al-Hayba (1877-1919)

Rahal Boubrik|Enseignant-chercheur – Université Mohammed V, Rabat.

Al-Hayba est issu d’une famille connue par son renommé confrérique : Ahl Chaykh Ma’ al-‘Ayanayn. Son grand-père, Mohammed Fadil, est fondateur de la confrérie Fadilya. L’aura d’al-Hayba dans le sud du Maroc est fondé sur le capital symbolique légué par son père Ma’ al-‘Aynayn. C’est ce dernier qui a instauré, après des années de travail acharné, son pouvoir religieux dans la région Nord du Sahara, pourvoir qui s’est couronné par un rapport privilégié avec la dynastie alaouite en place au Maroc.

Dès sa succession, al-Hayba est porté par un élan populaire dans une ambiance trouble marquée par le début des menaces de la colonisation française. Il fut proclamé amir al-jihâden 1912 à Tiznit pour mener le jihad contre les Français.

Progressivement, le mouvement d’al-Hayba commence à prendre de l’ampleur. Le soutien et le ralliement des tribus, des caïds, des notables religieux, des chefs des zawaya et des ulémas donna au mouvement un essor rapide, consacré par l’entrée d’al–Hayba au mois d’aout 1912 à Marrakech qui secoua le Maroc. Le 18 août, il fut proclamé sultan à la mosquée principale et reconnu par les autorités locales.

Dans cette communication, nous allons aborder le processus et le contexte de cette proclamation ainsi que les bases religieuses et sociales de la légitimité de son action comme sultan.