Journée d’étude : Institutionnalisation et circulation du savoir religieux à partir du Maroc

Samedi 30 juin 2018, Centre Jacques-Berque (Rabat)
Organisation : Sabrina Mervin
Coordination : Anis Fariji

Modératrice : Sophie Bava

9h30. Mathias De Meyer : L’islam à l’école primaire au Maroc : l’agentivité des manuels d’arabe

10h. Amina Mesgguid : La fabrication du « sujet vertueux » marocain dans le cadre de la réforme de l’Education islamique en 2016 : entre « modernisation » contrôlée et conservation de l’ordre socio-religieux

10h30. Khalid Mouna et Madiha Siyoudi : Al-Taʿilm al-Atīq : un regard croisé entre le rural et l’urbain

11h15. Discussion

11h30. Pause

11h45. Farid El Asri, Sophie Bava, Sara Abounouasset Yousra Hamdaoui : La formation dans tous ses « États ». Enjeux et pratiques de la formation à l’islam en direction des étrangers au Maroc.

12h45. Discussion

13h. Pause déjeuner

 Modérateur : Anis Fariji

14h15. Salim Hmimnat : La formation des « nouveaux imams » au Maroc : enjeux de l’institutionnalisation et contenus du curriculum

14h45. Sara Borrillo : La prédication féminine de l’islam marocain entre vie quotidienne et défis globaux

15h15. Discussion

15h30. Pause

15h45. Ilyas Amharar : L’enseignement religieux marocain face à la réforme : l’exemple de la région de Souss

16h15. Younes Johan Van Praet : Pérégrinations du matnd’Ibn ʿĀchir (XIeH.) : entre renouveau et réappropriations concurrentielles du malikisme au sein de l’enseignement islamique francophone

16h45. Discussion générale sur la journée, les ateliers à venir et les perspectives de publications.

RÉSUMÉS DES INTERVENTIONS

L’islam à l’école primaire au Maroc : l’agentivité des manuels d’arabe

Mathias De Meyer| Doctorant – Université Libre de Bruxelles

Il existe une abondante littérature concernant les manuels scolaires. Cette littérature porte très largement sur les contenus plus ou moins explicites qu’ils véhiculent. Elle laisse, cependant, souvent, hors champ la spécificité du genre littéraire des manuels, leurs formes matérielles et leurs usages concrets, en classe. En contraste, je me propose d’étudier, sous trois angles, un manuel d’arabe de troisième année primaire actuellement en usage au Maroc. (a) J’aborderai, d’abord, le manuel de la façon la plus classique : je le lirai et l’interpréterai ; j’exposerai ses « contenus sémantiques ». Je montrerai, plus précisément, comment l’islam y est « objectivé » et entrelacé à la nation marocaine. (b) Je m’arrêterai ensuite sur la forme du manuel : son paratexte et sa mise-en-page. Je voudrais suggérer que ces éléments, loin d’être neutres, participent du type de rapport à l’islam que le manuel d’arabe véhicule. (c) Je restituerai, enfin, le manuel à son milieu d’usage quotidien. À partir d’une recherche ethnographique dans une école de campagne de la région de Marrakech, je présenterai, d’une part, le type de rapport qui se construit autour du manuel en tant qu’objet concret : depuis sa distribution en début d’année jusqu’à sa récupération à la fin de l’année scolaire et sa destruction après plusieurs années d’emploi. J’exposerai, d’autre part, les usages pratiques du manuel en classe : la façon dont il structure les enseignements, mais aussi les libertés que les maîtres prennent à son égard.

Cette étude porte sur un lieu d’enseignement de l’islam qui apparaîtra, au premier abord, relativement « marginal ». Il est cependant, essentiel de porter une attention particulière à l’école publique : une très large majorité d’enfants passent par cette institution. L’école marque, qu’on le veuille ou non, les rapports que les enfants entretiennent avec leur religion. Par ailleurs, la seule (omni)présence de l’école redéfinit les autres formes et lieux de socialisation religieuse.

La fabrication du « sujet vertueux et moderne » marocain depuis la réforme de l’Education islamique en 2016 : entre « modernisation » contrôlée et consolidation de l’ordre socioreligieux

Amina Mesgguid| Master – Sciences Po Grenoble

À l’heure de la crise de l’autorité patriarcale ainsi que de la crise de l’autorité de l’islam, il est utile de comprendre de quelle façon l’État marocain renforce son autorité et la « sécurité spirituelle » au Maroc. Il s’agit, en effet, de traiter des enjeux de la réforme hautement stratégique de l’Education islamique datant du 6 février 2016, impulsée par le roi Mohammed VI, lors d’un conseil des ministres à Laâyoun. Les objectifs sont alors essentiellement de faire face au terrorisme religieux et la mutation des valeurs.

Partant ainsi du postulat que le manuel scolaire serait un canal de production de croyances et de valeurs, et donc un outil de contrôle en soi, la finalité serait de dégager d’une « analyse de contenu » d’un manuel d’Education islamique, la représentation du sujet musulman que l’État marocain vise à former. Ensuite, l’on réfléchira sur les mécanismes étatiques de sa fabrication, à une échelle politique plus large afin d’effleurer la complexité de l’évolution de l’État marocain.

Ceci conduira à appréhender la question suivante : comment l’écolier doit rester discipliné (obéissance à l’autorité hiérarchique, au dogme islamique) tout en devenant responsable et utile (insertion dans la société, la « modernité ») dans le cadre du projet dit « moderniste et démocratique » (projet ayant pour référentiel la Constitution marocaine de 2011).

Il sera ainsi mis en avant la double dynamique de conservation/changement de l’ordre socioreligieux que la réforme de l’Education islamique impliquerait, qui se retrouve dans le discours royal du 6 février 2016 sus-cité. Ce discours vise, en effet, à consolider l’attachement aux constantes nationales et islamiques dans un objectif de contrôle par l’unification autour du modèle marocain de l’islam tout en favorisant l’ouverture aux valeurs universelles, et l’édification de la « société du savoir » au Maroc.

Al-Taʿilm al-Atīq : un regard croisé entre le rural et l’urbain

Khalid Mouna| Professeur HDR – Université Moulay Ismail – Meknès
Madiha Siyoudi| Master – Université Moulay Ismail – Meknès

L’enseignement traditionnel est un véritable organisme social vivant, qui fait appel à des formes de solidarité basées sur les aides des bailleurs de fonds privés. L’enseignement traditionnel ou al-taʿlīm al-ʿatīq est passé d’un simple instrument pour la formation religieuse des fqih et des imams ainsi que d’un moyen de véhiculer le savoir culturel vers une institution complexe, que ce soit en termes de formation ou de gestion financière.

Ainsi, dans le cadre de notre travail sur les écoles traditionnelles, nous avons opté pour une démarche qui allie deux espaces connus par la présence de cette forme d’enseignement : àsavoir le rural (Rif central) et l’urbain (Fès-Meknès). A partir d’une ethnographie de terrain, mais aussi d’entretiens semi-directifs, notre travail consiste à étudier les processus d’apprentissage ainsi que l’organisation de l’enseignement. Nous partons de la problématique suivante : comment se passe le processus d’apprentissage ? En comparant l’enseignement coranique dans un espace urbain et un espace rural, et à partir des discours des acteurs, ce sont le processus de changement, de rupture et d’évolution qui sont observés. Autrement dit, comment al-taʿlīm al-ʿatīqs’est-il « modernisé » ? Et quels sont les enjeux qui traversent ce processus ?

L’enseignement religieux marocain face à la réforme : l’exemple de la région de Souss

Ilyas Amharar| Doctorant – Université Paris IV

Depuis maintenant plus d’une dizaine d’année, de nombreuses mesures ont été prises par le Ministère des Habous en vue de réformer l’enseignement traditionnel et d’aligner les élèves des medersas dites ʿatīqahaux exigences du marché du travail, en proposant un baccalauréat avec plus de matières communes aux lycées (avec de nouvelles matières comme le français, etc.). Si beaucoup d’écoles ont été séduites, de rares cas y voient une menace et refusent d’adopter cette réforme. L’intervention exposera le cheminement de ces quelques écoles qui font figure d’exception.

Pérégrinations du matnd’Ibn ‘Âchir (XIeH.) : entre renouveau et réappropriations concurrentielles du malikisme au sein de l’enseignement islamique francophone

Younes Johan Van Praet| Doctorant – Université de Rouen/Université de Louvain-La-Neuve

Le matnd’Ibn ‘Âchir constitue probablement le texte de droit malikite le plus répandu au Maghreb (Fortier, 2003) mais également celui qui symbolise le plus le malikisme marocain. Ce poème composé au XIe(17e) est mémorisé très tôt dans l’enseignement destiné aux enfants au sein des madāris. De plus, il figure au cœur du programme de l’institut Mohammed VI de Rabat notamment pour la formation des imams français. Enfin, le triptyque dogme ach’arite, école de droit malikite et voie soufie tracée par Junayd, (re)devenu le slogan officiel de l’islam marocain (Baylocq, 2016), constitue un des vers par lesquels Ibn ‘Âchir introduit son œuvre. Aujourd’hui, les pratiques de transmission autour de ce matnapparaissent comme centrales pour comprendre une part des enjeux contemporains qui transforment la scène islamique francophone.

La circulation des mutunmalikites en contexte francophone n’est pas un phénomène nouveau (El Alaoui, 2006). Toutefois, l’édition francophone du livre islamique réalise actuellement un réel effort de traduction et de réactualisation de ce patrimoine dont l’œuvre d’Ibn ‘Achir fait partie (Bengaraï, 2010 ; Al-Bayyinah, 2016). Au même moment, celle-ci m’apparaît lors d’un terrain ethnographique sur la transmission des savoirs islamiques en France. Je propose de décrire cette résurgence du matnen contexte francophone à l’échelle locale des enseignements islamiques, ainsi qu’au sein de l’espace numérique. Le matnd’Ibn ‘Âchir fait l’objet de réappropriations différenciées et concurrentielles qui nous informent sur l’adéquation entre une forme et modalité spécifique de transmission du savoir islamique et la diffusion d’un courant doctrinal particulier. Au terme de cet exposé, je m’appuierai sur cet exemple emblématique afin de décrire -via les multiples processus d’importation, de traduction et d’enseignement – la constitution d’un « socle madhhabique » au sein de l’islam français.

تكوين « الأئمة الجدد » بالمغرب: سياقات المأسسة ومحتوى مواد التكوين

سليم حميمنات|باحث بمعهد الدراسات الإفريقية – جامعةمحمد الخامس الرباط

يحيل موضوع التكوين الديني بالمغرب على تلك التدريبات والتكوينات التي تشرف عليها المؤسسة الدينية الرسمية بهدف تخريج أطر دينية مؤهلة لممارسة بعض المهام الدينية كالإمامة والخطابة والوعظ والإرشاد. يشكل معهد محمد السادس لتكوين الأئمة المرشدين والمرشدات، الذي تم تدشينه في مارس 2015، الإطار المؤسساتي الرئيسي والوحيد الذي يضطلع بمهمة تكوين نخب من الأئمة والمرشدات الدينيات. تعكس مأسسة هذا التكوين وتأميمه انتباه الدولة إلى الدور الحساس والخطير الذي يؤديه الإمام في التأطير والتوعية الدينية بما يساهم في تعزيز الهوية الدينية المغربية وتحصينها من الاختراقات المذهبية والخطابات الإيديولوجية المتطرفة التي يخشى زعزعتها وتهديدها للاستقرار والأمن العام. جاء تأسيس هذا المعهد كامتداد ومحصلة لحوالي عشرة سنوات من التجربة والخبرة النوعية المهمة التي راكمها البرنامج المحلي لتكوين الأئمة والمرشدات الذي أنشئ سنة 2005، وهو يجسد مواكبة المؤسسة الدينية الرسمية وانخراطها القوي في بعض الرهانات السياسية الطموحة للدولة المغربية على الصعيدين الإقليمي والدولي. تحاول هذه المداخلة تسليط الضوء على تجربة تكوين الأئمة الجدد بالمغرب من خلال استعراض مجمل الرهانات التي دفعت إلى مأسسة هذا التكوين، وفحص التصور الإيديولوجي العام الذي يؤطره، ثم تحليل محتوى المقررات الدراسية المعتمدة في هذا البرنامج التكويني.

La prédication féminine de l’Islam marocain entre vie quotidienne et défis globaux

Sara Borrillo| Post-doctorante – Université L’Orientale de Naples

Grace à un travail ethnographique de plusieurs années, cette intervention se focalise sur la participation des femmes, en tant que prédicatrices et savantes, dans les structures de l’islam marocain officiel. Basée sur une analyse de la reforme de restructuration du Ministère des Habous et des Affairs Islamiques adoptée au Maroc en 2004, en particulier, l’intervention examine plusieurs dimensions de l’impact social, politique et religieux de la professionnalisation du travail de prédication de l’islam mené par les nouvelles autorités religieuses entre vie quotidienne et défis globaux.

La formation dans tous ses « États ». Enjeux et pratiques de la formation à l’islam en direction des étrangers au Maroc

Farid El Asri| Professeur – Université internationale de Rabat/Université catholique de Louvain
Sophie Bava| Chercheur – Institut de recherche et de développement/ Université internationale de Rabat
Sara Abounouass| Master – Université internationale de Rabat
Yousra Hamdaoui| Doctorante –Université de Settat

Le Maroc s’est récemment profilé comme un acteur clé dans la transmission du savoir religieux dédié au métier d’imam. Depuis 2015, l’Institut Mohamed VI pour la formation des imams, des Morchidines et Morchidatespropose en effet un cursus pour la formation des métiers du religieux à l’adresse des publics locaux, régionaux et internationaux. Par les nombreuses délégations officielles et diplomatiques, les signatures de conventions bilatérales de partenariats pour l’envoi d’imams à Rabat, l’octroi de bourses et d’un cadre d’enseignement et de vie étudiante privilégiée et l’adaptation d’un programme d’enseignement reflétant une volonté d’alternative aux dérives discursives d’islam, s’illustre un positionnement stratégique d’un « modèle religieux » à promouvoir et la manifestation d’un​ outil des politiques publiques exprimant un discours alternatif-pluriséculaire dans un contexte africain. Il s’y imbrique un savoir et savoir-faire à exporter, une démarche de modélisation d’une expérience d’islam fiable et viable et un leadership religieux conséquent sur l’international.

Les analyses proposées dans le cadre de ce groupe de travail à quatre voix entendent illustrer le caractère hétérogène d’un tel projet de formation traduisant une complexité des enjeux, une diversité des profils d’étudiants et des pratiques du lieu, et ce par quatre angles d’analyses principaux :

  • une approche de type anthropologique des trajectoires de ​populations estudiantines issues des contextes d’Afrique Subsaharienne et notamment les groupes cadrés en provenance du Mali et du Sénégal.
  • l’attention sera également portée sur le caractère des relations internationales impulsé​es​ par le projet de l’institut qui ouvre le champ d’une part, sur une approche compréhensive des mécanismes de choix des partenaires et des enjeux diplomatiques sous-jacents, et d’autre part sur une approche sécuritaro-religieuse qui permet au Maroc un repositionnement géopolitique dans la région.
  • Il sera ensuite question d’illustrer le fonctionnement interne de la structure de l’institutpar une description in situde type ethnographique depuis les organigrammes en passant par la vie étudiante au sein de la formation jusqu’en internat.

Enfin, une attention particulière sera portée sur le contenu de la  transmission. Le choix des grilles programmatiques, de la langue d’enseignement et des références dogmatiques, mystiques ou juridiques en circulation seront déconstruites.